ISSN: 1983-6007 N° da Revista: 06 Setembro de 2008 à Dezembro de 2008
 
   
 
 
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Inclusion et [dés]insertion en Santé Mentale

 
   
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L’Équipe de CliniCAPS (Belo Horizonte – Brésil)

 
 

Antônio Márcio Ribeiro Teixeira
Wellerson Durães de Alkmim
Aline Aguiar Mendes
Anamáris dos Anjos Pinto
Cláudia Maria Generoso
Cristiana Miranda Ramos Ferreira
Maria Carolina de Andrade Freitas
Maria Inês Meireles Junca
Renata Dinardi Rezende de Andrade
Simone de Fátima Gonçalves

new-clinicaps.com
 
     
     

. Resumo: O artigo aborda criticamente os mecanismos de inclusão propostos pelos dispositivos de saúde mental, que buscam oferecer ao paciente as condições de cidadão, em conformidade com a expectativa igualitária da oferta de bens relativos ao que se habitualmente se entende por cidadania, afim de estabelecer, a partir do termo de inserção, um processo que vai além dessa expectativa. A inserção implicaria uma relação definida pelos meios possíveis de negociação do sujeito com Outro, em cujo saldo se manifesta não apenas uma transformação do modo anterior de vínculo do paciente, como também uma modificação essencial da parte do Outro com o qual o sujeito vem compor, ilustrada na discussão de dois casos clínicos.
. Palavras-chave: inclusão, inserção, saúde mental.

. Abstract: The article is a critical approach of the including mechanisms offered by mental health dispositives, which seek to provide citizens' conditions to the patients, as stated by their egalitarian expectances in the supply of conditions according to their usual idea of citizenship, in order to establish, by means of the term of insertion, a process that goes beyond this expectation. The insertion would involve a relationship defined by the possible ways of dealing with the Other, whose balance is reflected not only by a transformation of the previous mode of attachment of the patient, but also a essential modification regarding the Other with which the subject composes, as noted in the discussion of two clinical cases.
. Key-words: insertion, inclusion, mental health

 
« Eh bien! voyez maintenant quel peu de cas vous faites de moi. Vous voulez jouer de moi, vous voulez avoir l’air de connaître mes trous, vous voulez arracher l’âme de mon secret, vous voulez me faire résonner tout entier, depuis la note la plus basse jusqu’au sommet de la gamme. Et pourtant, ce petit instrument qui est plein de musique, qui a une voix admirable, vous ne pouvez pas le faire parler. Sangdieu ! croyez-vous qu’il soit plus aisé de jouer de moi que d’une flûte? Prenez-moi pour l’instrument que vous voudrez, vous pourrez bien me froisser, mais vous ne saurez jamais jouer de moi. »
(Hamlet, acte III, scéne 2)

. En commentant, à propos de la naissance de l’asile, le geste célèbre de Pinel libérant les fous de leur chaînes, Foucault ne se prive pas de nous indiquer, sous cet apparent propos de libération, un mouvement d’inclusion qui faisait de l’aliénation mentale l’objet d’un programme de contrôle étatique. Si la cure du fou, pour Pinel, consistait dans sa stabilisation en un type socialement accepté et reconnu, c’est parce qu’il entrevoyait à l’horizon du traitement la perspective d’une conformité aux types sociaux ainsi définis. A la différence de l’exclusion mise en place au début de la période classique, avec pour visée l’enfermement indifférencié de ceux qui se détournaient de la norme sociale, l’enfermement au XIXème siècle avait pour but la normalisation des individus par leur inclusion dans des groupes, formant ainsi un réseau institutionnel de contrôle étatique (FOUCAULT, 1996, p. 113). Si ce siècle a vu l’avènement des sciences de l’homme, ce fut dans la mesure où a été organisé un savoir - ou un pouvoir épistémologique –, moyennant une pratique d’observation, de sériation et de comparaison qui objective, en dernière instance, la classification des individus dans les groupes sociaux définis par l’État (IDEM, p. 125).

. Si la possibilité d’engendrer une organisation classificatoire de la folie avait été dérivée de son isolement social par la voie du régime asilaire, le pouvoir médical la délimitant s’est prévalu, à ce moment-là, de son autorité pour établir de telles classifications; ceci présida ainsi à la figure émergente de l’objectivité qui dans l’asile s’imposa. Quels qu’aient été alors leurs propos, le fait est que le dispositif asilaire ainsi géneré a été, pour la première fois, l’endroit où s’est mise en place une expérience contrôlée de la maladie mentale; celle-ci a donné lieu, à son tour, à la constitution de la psychopatologie dont nous avons hérité et dont l’objet sont les types cliniques dans cet espace ainsi défini.

. Née, à son tour, dans un contexte de ségrégation et de contrôle disciplinaire de la folie, redoublé, bien entendu, d’un usage exponentiel des psychotropes dans le cadre du traitement, la réforme de la psychiatrie brésilienne, fortement inspirée du mouvement anti-psychiatrique italien, a été une tentative de donner à ce problème une réponse qui prenne en compte l’inclusion sociale du fou et la protection de ses droits fondamentaux. Cette proposition s’est concrétisée en une offre élargie de dispositifs de soins psychosociaux, désormais substitués au modèle asilaire, selon un programme basé sur les notions de citoyenneté et de contractualité sociale en tant que moteurs de l’inclusion. Cependant, en dépit de la validité incontestable de ces principes, leur application ne semble pas suffire à susciter, de la part de ceux qui bénéficient de ce programme, une insertion effective dans la champ de l’inclusion sociale créée pour eux. Comme nous allons essayer de le démontrer à partir de la discussion de deux cas cliniques, la possibilité effective d’une insertion dépend non seulement de l’offre de services d’inclusion, mais aussi, et principalement, de la mise en place d’un lieu de construction d’un sujet social, capable de transformer tant son mode de rapport avec l’Autre social que le champ propre de cet Autre dans lequel il tente de s’insérer.

. Sans doute employons-nous le mot “insertion” par opposition à ce qu’on peut entendre sous le terme d’inclusion, dans le souci d’indiquer le sens précis que la sémantique issue de notre expérience permet de mettre en oeuvre : l’insertion est, à nos yeux, un terme tendant à signifier un processus qui se démarque du mode d’inclusion dans le champ de l’Autre, calqué sur les mécanismes de la contractualité. Autant l’inclusion se propose, par le lien du contrat, de donner au patient les conditions de citoyen — en conformité avec la visée égalitaire de l’offre de biens relatifs à ce qui se conçoit en termes de citoyenneté — , autant l’insertion dépend, pour se constituer, d’un processus qui aille au-delà de cette visée contractuelle. Car sa visée implique avant tout un rapport défini selon les moyens de négociation du sujet vis-à-vis de l’Autre, l’Autre étant représenté par le mode d’organisation sociale du discours auquel le patient répond. Le solde de cette insertion se manifeste non seulement par une transformation de son mode antérieur de lien, mais aussi bien via une modification essentielle tant de la part du sujet que de la part de l’Autre avec lequel ce sujet essaie de composer.

. Nous proposons donc de présenter deux cas cliniques, en tant qu’illustrations paradigmatiques de cette différence entre inclusion et insertion basée sur la construction du cas clinique. Le premier cas est celui d’un jeune homme de 18 ans – désormais appelé Gabriel, lequel est venu au monde marqué, pour le dire ainsi, par une désinsertion traumatique. Né après un très long accouchement— une hypoxie ayant nécessité l’emploi de forceps —, il souffre d’emblée d’une série des séquelles : selon sa mère, c’était un enfant différent des autres, il pleurait beaucoup, son cou manquait de tonicité et puis il a mis beaucoup de temps avant de pouvoir marcher et parler. Le père, quant à lui, n’acceptait pas les problèmes de son enfant et n’envisageait pas la recherche d’un traitement. Ce n’est qu’à l’âge de quatre ans qu’il a commencé à fréquenter une instituition spécialisée dans le traitement des enfants handicapés mentaux (APAE) où il sera interne jusqu’à l’âge de 14 ans. L’équipe responsable décrit un comportement récurrent de fugues et de soliloques. A diverses occasions il y a eu recours à une médication neuroleptique et thymo-régulatrice.

. En 2004, quand Gabriel avait l4 ans, ses parents se sont séparés et son frère aîné, qui l’accompagnait dans ses activités de la vie journalière, a dû changer de ville pour aller travailler. A ce moment-là, il y a eu une nette recrudescence des conduite de fugues et d’agression à l’égard de tiers, ce qui a posé de grosses difficultés pour qu’il puisse rester en institution. Il est alors allé vivre, à partir de 2005, chez sa mère ; celle-ci, souffrant de sclérose en plaques, et n’ayant guère les moyens de répondre à son comportement, n’a trouvé d’autre solution que de l’enfermer à la maison. Peu de temps après, Gabriel est arrivé au Centre de Santé Mentale, pris de haine à l’endroit de sa mère – qui l’avait maintenu en captivité – au point qu’il en vienne à l’agresser avec un couteau. Il nous arrive accompagné par des gendarmes, dans un état d’extrême agitation et d’agressivité, nécessitant une contention physique et chimique. À ce moment-là, Gabriel entendait la voix d’un prêtre qui lui donnait des ordres. Malgré nos efforts pour l’acompagner en service ouvert de Santé Mentale, la famille sollicite son internement psychiatrique, à cause des risques résultant de son comportement violent.

. C’est finalement en janvier 2006, après qu’il ait aggressé son père, que la familie exige son internement dans un hôpital psychiatrique. Gabriel est alors transféré vers un hôpital où il séjourne pendant deux mois, sans qu’aucune évolution favorable ne soit constatée. Il revient ensuite au Centre de Santé Mentale, fort médiqué et blessé, avec des traces de contention sur les poignets et sur les chevilles, ainsi que des traces de brûlures de cigarettes sur son corps, cassant toutes les vitres qu’il trouve sur son chemin et agressant les travailleurs du Centre avec qui il se trouvait plus lié. Il renverse au sol son répondant et essaye même de l’étrangler. Dans le cadre de la consultation, il était tellement agité qu’il essaye de sauter sur le médecin. Il n’accepte aucune médiation verbale, essayant d’imposer ses demandes par la force. C´est alors seulement que la famille réalise que l’hospitalisation de Gabriel n’était point la solution attendue, et finit par accepter un traitement en service ouvert.

. A partir de plusieurs rencontres cliniques ayant pour visée de construire un projet thérapeutique et d´essayer de saisir la structure du comportement de Gabriel, quelques interventions ont été proposées. Les réactions aggressives, ainsi que les fugues répetées, devaient être conçues comme étant de l’ordre de passages à l’acte qui se produisent lorsque Gabriel ne parvient pas à symboliser son malaise. Nous avons aussi obtenu de la mairie l’engagement d’un acompagnateur thérapeutique qui soit présent pendant les diverses activités liées au traitement. Nous avons également pris en compte les plaintes de la mère, amoindrie par sa maladie et n’ayant point les moyens de prendre soin de son fils : l’équipe met en oeuvre une articulation entre le conseil de tutelle et l’assistant de justice, dont l’intervention permet de solliciter une participation plus significative du père dans le processus. Cette intervention, ainsi que d’autres propositions “socialisantes” issues d’une élaboration des règles de convivialité ont permis qu’enfin une modification se produise : Gabriel commence à fréquenter les divers espaces du service et à négocier avec les autres membres de l’équipe. Il peut alors formuler d’autres demandes. Il se sent accueili ; dès lors il se préoccupe de l’accueil des autres et cela l’apaise. Pendant la semaine du 18 mai, date à laquelle on commémore le jour de la lutte anti-manicomiel, à l’occasion de la visite du Palais de Justice, Gabriel adresse une demande personnelle au juge de la ville: il sollicite qu’au nom de la loi, le juge interdise à son père d’aggresser sa mère. La parole de Gabriel fut prise en compte et a retenu toute l’attention du juge.

. Impossible de ne pas percévoir, comme effet de la manoeuvre clinique, que le processus d’insertion de Gabriel se trouvait nécessairement traversé par une modification essentielle de son lien avec l’Autre. Il a fallu atteindre l’insuccès de l’internement, qui répondait en fait à la demande d’exclusion de la part de la famille, pour que le processus d’une possible insertion dans le tissu social puisse finalement se produire. Cette insertion dans le tissu social a surtout été rendue possible grâce à la mise en place d’un réseau structuré à partir de la logique du cas, ayant pris son départ de la disponibilité d’écoute des travailleurs. Ceci a permis à l’équipe de se positionner comme un Autre capable d’écouter la sollicitation du patient envers une loi régulatrice, qui ne le mette pas en position d’exception. À un sujet qui avait toujours été soumis à une loi déréglée, incarnée par ses parents, on a pu offrir un Autre d´une loi réglée...
A partir de là, Gabriel a pu adopter une conduite de négociation avec l’Autre moyennant la parole, évitant ainsi les réactions de fugue et d’agressivité. En effet, une fois que la négociation avec l’Autre se trouve accessible à tous, le pari de l’équipe déloge Gabriel de la position d’exception. Gabriel va dès lors fréquenter plusieurs discours qui peuvent l’accueillir, tel le juridique ou celui de l’éducation. En l’occurrence, il se trouve un lieu à partir duquel il puisse se montrer d’une autre manière, comme un “présentateur” de l’école où il étudie; dans le même temps, il découvre que ce qu’il dit est pris en considération et respecté par les autres.

. La conversation clinique de ce cas a permis à l’équipe à la fois d’établir la place qu’elle occupait dans l’économie de jouissance de Gabriel et de construire le mode par lequel se structure sa relation avec l’Autre. Lors de la transformation de cet Autre thérapeutique, ayant procédé à un vidage des savoirs prescriptifs dans lesquels il se situait jusqu’alors, la conversation autours du cas a permis le développement d’un travail empreint d’un processus de négociation, toujours à inventer, dans le rapport que la patient entretenait avec sa réalite. C’est en procédant au vidage du savoir prescriptif que sa psychologue a pu intervenir sur l’évolution du cas. C’est bien à elle qu’est effectivement revenue cette difficile tâche de composer la référence avec le transfert, faisant de la relation à la loi une dimension subjectivable pour Gabriel.

. Ce processus d’insertion, basé sur la construction du cas clinique, ne doit nullement se confondre avec une tactique hystérique d’assistance qui, d’une certaine façon, donne consistance au discours du maître - contre lequel, par ailleurs, elle proteste – généralement représenté par le pouvoir médical en oeuvre dans les pratiques de contrôle disciplinaire. Cette hystérie assistancielle, qui proclame l’égalité des sujets contre l’autorité hierarchique du savoir médical dans les institutions de santé mentale, tombe assez souvent dans les inévitables embarras des rapports spéculaires. En s’avançant en position d’égalité à l’égard du sujet et dans un rapport d’identification speculaire avec le malade mental, ici représenté par la figure de l’Autre défaillant, l’hystérie assistancielle empêche tout processus d’insertion dans la mesure où elle devient partenaire d’une conjonction symptomatique qui laisse intouché le mode de jouissance du patient. Cette conjonction se défait seulement dans un moment d’épuisement, quand à la fin se réinstaure, encore à la même place d’exception qu’on croyait éteinte, la figure d’autorité du maître contre lequel elle s’était initialement insurgée. Voyons alors, à la lumière de ce qui fut extrait d’une conversation clinique, les impasses qu’un tel partenariat produit.

. Nous nous référons au cas d’Eliseu, dont la conversation clinique a été sollicitée en raison des difficultés relationnelles entre lui et le corps soignant qui s’en occupait. D’après les informations extraites d’un rapport daté de 2002, Eliseu, alors âgé de 30 ans, est décrit comme un homme célibataire, n’ayant pas terminé ses études primaires et qui, pour survivre, travaillait comme manoeuvre dans le bâtiment. Fils cadet de la famille - son père étant alors décédé, atteint de lèpre - Eliseu vivait avec sa mère. Selon les dires du patient, ses parents “batiam gato”, expression qui désigne l’attitude du mendiant et qui, en général, servait à nommer les lépreux. Du fait que sa mère était une alcoolique chronique, les soeurs se sont occupées de lui, mais ceci jusqu’au moment où la fratrie s’en va habiter avec ses oncles qui rejetaient Eliseu, en le traitant de nègre et de laid. Ce fut pour lui un moment de ravage, accentuant sa condition de sujet abandonné.

. Son premier épisode de déclenchement psychotique se passe alors qu’il est âgé de 16 ans. A cette époque, il consommait énormément d’alcool. Cette période a été décrite par la mère du sujet comme un moment d’agitation intense et de comportement délirant, suivi d’évanouissements. Il débute son traitement psychiatrique dans l’un des Centres d’Accompagnement Psychosocial (CAPS) de sa ville, en 1997. A ce moment-là, il présentait des attitudes revendicatives portant sur sa reconnaissance comme handicapé ; cela se passait sous les effets de l’alcool et alors qu’il était aux prises avec des pensées délirantes à caractère persécuteur, et en proie à des comportements de déréliction aggravés du fait de sa précarité socio-économique. Il se présentait au CAPS, tantôt accompagné par sa mère, tantôt par une sœur, tantôt par la police; il venait plus rarement seul, mais toujours en état d’ivresse. Durant l’année 2001, alors qu’il était en traitement intensif auprès du CAPS de sa ville d’origine, le psychiatre qui le recevait jusqu’alors dans les moments de crise devint son médecin de référence. C’est à ce moment-là que le service l’ayant accueilli adopte une stratégie assistancialiste, au point que son psychiatre devint aussi son curateur provisoire, étant donné l’indisponibilité de sa famille à endosser ce rôle.

. En 2003, on avait loué pour lui, à proximité du centre d’accompagnement, une chambre par l’intermédiaire du Service, dans le but d’en faire une résidence thérapeutique. Sa situation s’est stabilisée durant quelques mois, jusqu’au moment où il a repris sa consommation d’alcool et de drogues ; ceci a mis en échec tous les projets assistanciels. Le service adopte dès lors des mesures à caractére disciplinaire, telle refuser son entrée quand il se présentait en état d’ivresse ou drogué. Mais toutes ces mesures se sont heurtées à son manque d’adhésion. Il ne semblait capable de constituer que ce seul lien avec l’alcool. Malgré le fait qu’il avait accès à un domicile, Eliseu restait à errer dans les rues, mendiant de l’argent et s’exposant aux risques de se faire voler et agresser. L’équipe, arrivée à l’épuisement, qualifiait Eliseu de “sac sans fond”, toutes ses demandes semblaient être sans fin.

. C’est à partir de ce moment que s’est imposée la nécessité d’organiser une structure en réseau dans la visée de répartir les charges liées à son accompagnement. La responsabilité de la curatelle fut alors transmise à sa soeur, avec qui Eliseu est aller habiter. Ceci a produit une certaine stabilisation, car sa soeur manifeste une position maternelle semblant convenir aux demandes incessantes d’Eliseu. Cette relative amélioration ne met cependant pas fin à son comportement de mendiant errant : Eliseu attend toujours qu’on s’occupe de lui.

. Nous avons ainsi pu vérifier que le mode d’inscription d’Eliseu dans le langage pouvait se traduire, de façon prosaïque, comme ce fut le cas lors d’une réunion d’équipe, par le terme “gros demandeur” (pidão). Il est manifestement un “demandeur” sans limites, auquel, à ce qu’il nous semble, a été transmise une fonction initialement attribuée à son père, porteur de la lèpre, qui passait sa vie à “bater gato”. Demander, en ce qui concerne Eliseu, est un verbe quasiment intransitif ; il n’accorde que peu d’importance à l’objet de la demande ; ce qui compte, pour lui, c’est de conjuguer le verbe “demander”. Ce n’est donc pas un hasard qu’il ait perdu tout ce qu’il avait acquis avec le soutien attentif de l’équipe : c’est à partir de la perte qu’il reprend la place de sujet mendiant, le seul prédicat qui lui ait été transmis.

. Quelque soit le degré de difficultés que ce cas rassemble, il nous revient de dégager les impasses produites par la position quasi transitiviste assumée par l’équipe dans le maniement de son traitement. Ainsi, pour chercher à “comprendre” le patient dans le but d’atteindre les motifs de ses difficultés, quelques acteurs de l’équipe, plutôt que de créer un vide de compréhension dans lequel le patient aurait pu inscrire ses coordonnées, ont opté pour une attitude fondée sur l’identification imaginaire. Cette attitude est extrêmement fréquente dans la perspective égalitaire qui accompagne les mouvements de la réforme psychiatrique, aussi bien intentionnés soient-ils. En l’occurrence, cela débouche dans le champ spéculaire de l’intersubjectivité égalitaire où thérapeute et patient son liés dans une relation de partenariat symétrique. D’après les dires de son thérapeute, le fait de se proposer comme partenaire à qui demande infiniment revient à le transformer en pourvoyeur sans limites d’un appel sans point d’arrêt. Le thérapeute en est ainsi venu à donner consistance à une situation dans laquelle il était devenu partie intégrante, s’empêchant ainsi de rompre avec ce mécanisme qu’en principe il était censé modifier.

. De fait, rien ici ne nous autorise à parler d’«insertion», tel que nous entendons ce terme, si bonnes soient les intentions qui sous-tendent ce mode de manoeuvre clinique. Il s’agit en réalité d’un mouvement d’inclusion assistancielle fréquent dans les programmes de l’État et présent dans les formes les plus variées d’accueil du public. Cela peut aller de la mise en place d’une curatelle à la mise à disposition d’une résidence thérapeutique, sans toucher pour autant à la dialectique que le sujet entretien avec l’Autre social. Par conséquent, il nous semble symptomatique qu’à l’occasion d’une deuxième conversation, quand on a eu affaire au déplacement du patient vers un autre service en raison d’une redistribution territoriale, au lieu de considérer cela comme un problème, l’équipe ait éprouvé un effet de soulagement, complètement épuisée qu’elle était après ce long partenariat problématique. On a appris que Eliseu se retrouve aujourd’hui “hors-territoire”, selon les termes de l’équipe du Centre : ses visites y sont de plus en plus rares et il se présente toujours alcoolisé. On nous a également transmis qu’Eliseu est fréquemment aperçu dans le centre ville, mendiant aux arrêts de bus.

. Si la réponse particulière d’Eliseu au problème universel de l’abandon se fait dans la forme récurrente du demandeur intransitif, l’égalitarisme assistancialiste finit, à son tour, par maintenir cette condition. Celui-ci reste captif d’une dimension spéculaire qui empêche l’agent pourvoyeur de services de produire un changement de position de la part du sujet demandeur. Demande insatiable et offre interminable s’y conjoignent dans un rapport qui laisse le sujet et l’Autre intouchés, sans aucune possibilité de rotation discursive. Le résultat de ce partenariat, absolumment prévisible, a été l’épuisement du thérapeute et le soulagement que l’éloignement du sujet demandeur a produit sur lui.

. En ce qui concerne la possibilité effective d’insertion du patient Eliseu, on s’est demandé, à la fin de la conversation, s’il était possible de conduire autrement le cas que dans une position de sacrifice. Face à la constatation désolante d’Eliseu retournant à la rue dans la condition de mendiant misérable, nous nous sommes posés la question de savooir si cela n’était pas la meilleure condition qu’il avait trouvée. Mais même dans ces cas-là, même dans le cas des patients qui n’arrivent à se stabiliser que dans ces conditions, encore est-il nécessaire de se demander, d’un côté, s’il faut qu’il soit un mendiant si misérable, et de l’autre, si l’on peut répondre d’un lieu différent de celui de thérapeute pourvoyeur. Bien que la dimension imaginaire d’un tel partenariat puisse être le seul lien possible au niveau de l’accueil de ce sujet, il faut aller au-delà si l’on veut dépasser l’inclusion pour arriver à l’insertion.

. Car, si le facteur le plus dérangéant pour l’équipe était l’état misérable d’Eliseu, l’effort égalitaire de lui fournir les prétendues “conditions dignes d’un citoyen” était voué à l’échec en raison d’un motif assez élémentaire : Eliseu n’en voulait pas. Ce qu’on lui offrait concernait moins sa demande à lui que la demande de l’équipe au regard de la condition dans laquelle elle attendait, spéculairement, de pouvoir retrouver son patient. Eliseu, quant à lui, n’a jamais demandé à être traité dans ces conditions supposées de citoyenneté. Il se peut que la meilleure solution soit, pour le moment, de recevoir Eliseu sans lui procurer les prétendus droits de homme, tout en entendant ce qu’il a à demander. Sans oublier de lui faire entrevoir, bien entendu, qu’il a quelque chose à apprendre dans le sens de convertir la demande en une forme de négociation avec l’Autre auquel il s’adresse.

. RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE:
FOUCAULT, M. (1972) Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, collection Tel Gallimard n°9, 1996.

 

(1) William Shakespeare, traduction François-Victor Hugo, Flammarion, Paris, 1964,p. 320.

(2) Pipol 4, sous le titre Clinique et Pragmatique de la désinsertion en psychanalyse, invite à cerner la dimension subjective présente dans les diverses modalités de désinsertion, et les voies qui permettent à chacun, à partir de son symptôme, de trouver son inscription dans le tissu social. Si le terme « désinsertion » n’est pas nouveau, l’abord psychanalytique de la désinsertion l’est entièrement. La perspective ouverte récemment par Jacques-Alain Miller sur le dernier enseignement de Lacan, en introduisant le symptôme comme réel dans le lien social, nous permet de traiter la désinsertion comme l’un des noms du réel par excellence de notre époque.

 
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